Trop habile Messire Bertrand

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Il y a des hommes dont on dit volontiers qu’ils sont nés sous une bonne étoile. Pour peu qu’ils sachent aider la fortune, celle-ci ne cesse de leur sourire. Messire BERTRAND de CHALANCON était du nombre. Devenu, vers 1240, à la mort de son père, le chef de sa maison, il allait lui être réservé d’en porter la grandeur à un point que ses aïeux n’auraient jamais osé espérer.

L’antique race des BEAUMONT s’éteignait. De ceux qu’on a appelé Rois de la montagne, dont le château fort surplombait la vallée encaissée de la Dore et les possessions s’étendaient de la CHAISE-DIEU jusqu’au-delà d’YSSINGEAUX, il ne restait plus qu’une frêle enfant, Egline. A qui cette riche héritière porterait-elle et la gloire et les biens (réduits certes par les apanages des cadets et les fondations pieuses, mais encore considérables) de sa maison ? On devine si, dans la noblesse de la région, la lutte des prétendants dut être serrée. Ce fut BERTRAND de CHALANCON qui l’emporta. Il le dut en partie aux vieilles relations existant entre les deux familles, au voisinage de leurs terres : sa séduction fit le reste. Ainsi, en sa personne, les CHALANCON succédaient-ils à ceux dont leurs ancêtres, deux siècles auparavant, avaient tenu en fief une partie au moins de leurs domaines.

Un point cependant inquiétait Bertrand, tel un nuage sombre pesant sur l’horizon. Il s’agissait d’une contestation qui depuis près d’une centaine d’années avait remué bien des passions, fait couler bien du sang.

Les Capétiens, on le sait, avaient aidé les évêques du PUY à restaurer à leur profit l’autorité comtale : ainsi ne risqueraient-ils pas de rencontrer en Velay une famille de trop puissants féodaux avec qui force leur serait de composer. Contre cette politique s’étaient dressés nombre de seigneurs laïques à qui il répugnait d’incliner l’épée devant la crosse. De ce mouvement de résistance, les POLIGNAC, tout naturellement, prirent la tête : outre que le titre de vicomte ne suffisait pas à leur ambition, ils n’étaient guère disposés à renoncer aux droits de péage qu’ils s’étaient arrogés en de nombreux points du Velay. Les CHALANCON embrassèrent leur cause, cependant que d’autres, préférant l’autorité des évêques à celle des vicomtes, se rangeaient dans le camp adverse. De multiples escarmouches s’ensuivirent, entrecoupées de trêves précaires. Le siège de CRAPONNE, en 1163, au cours duquel fut incendiée, semble-t-il, la partie supérieure du donjon, construite en bois, dut être un épisode de cette lutte. Finalement le roi Louis VII intervint en personne, battit les turbulents vicomtes et les emmena prisonniers à VINCENNES. Bon gré mal gré, les seigneurs laïques durent reconnaître le haut domaine de l’évêque.

Un peu plus tard, en 1214, Philippe Auguste n’était-il pas allé jusqu’à faire don au nouveau prélat, Robert de MEHUN, son parent, des châteaux de CHALANCON, ROCHEBARON, CHAPTEUIL et GLAVENAS, avec pouvoir de les acquérir comme bon lui semblerait ? Qu’il vienne ! Avait rugi le père du jeune Bertrand. L’évêque ne vint pas et pour cause : il fut assassiné quelque temps après par un gentilhomme du parti des POLIGNAC, Bertrand de CAYRES. De cette donation, il ne fut plus question. Les CHALANCON se résignèrent seulement à rendre à l’évêque du PUY un hommage de vassalité dont la formule visait expressément « le château et le bourg de CHALANCON, ainsi que l’estrade passant aux abords du dit château ».

A la mort de son père, Messire Bertrand, comme il se devait, renouvela cet hommage. De ses nouvelles possessions, il ne souffla mot. Les BEAUMONT avaient inféodé quelques-uns de leurs domaines, aux comtes d’Auvergne. Pour ceux-là, tout était réglé. Mais pour les autres, ceux qui étaient restés indépendants, les parents d’Egline y demeurant seuls maîtres après Dieu ? Tel était le cas de la vaste seigneurie de ST-PAL. Qu’elle fît partie des biens de la dernière des BEAUMONT, il n’est d’ailleurs pas sûr. Les parents de Bertrand auraient fort bien pu en hériter d’une famille née sur le sol même de ST-PAL et qui se serait éteinte tout comme celle des BEAUMONT. Que ne pouvons-nous, sur ce point interviewer Messire Bertrand !

Quoiqu’il en soit, il est exclu que le mandement de ST-PAL qui, en 1163, débordait, d’un côté sur la rive droite de l’Ance, en y englobant ORCEYROLLES, THEUX, FRAISSE et PIASSAC, et s’étendait, de l’autre, au-delà de TIRANGES jusqu’à DROSSANGES, ait été, à l’origine, propriété des CHALANCON. L’église de ST-PAL suffirait à nous en donner la preuve. Lors de son agrandissement, en effet, à la fin du XVème siècle, les CHALANCON – ROCHEBARON, pour attester que la chapelle basse de la nef sud et l’élégant oratoire qui la surmonte appartenaient de temps immémorial aux seigneurs, y firent placer un écusson à la clef de voûte. Mais cet écusson est nu, alors que tout à côté un autre porte les armes des ROCHEBARON. La conclusion s’impose : les seigneurs du XVème siècle ignoraient bel et bien les armoiries de leurs lointains prédécesseurs, lesquels ne pouvaient donc être des CHALANCON, dont le blason écartelé de celui des ROCHEBARON, se voit encore sous la voûte du clocher.

Tous ces nouveaux domaines ne finiraient-ils pas par attirer l’attention du roi et de l’évêque ? Certes, quelques possessions isolées des CHALANCON sur les deux rives de l’Ance avaient pu échapper à l′hommage imposé. En irait-il longtemps de même pour des seigneuries entières ? A la seule pensée d’avoir à céder un jour à la pression du roi et de l’évêque, dont il ne savait lequel des deux il détestait le plus, Messire Bertrand voyait rouge. Brusquement, un beau matin, l’idée lui vint. Une idée si claire, si simple, qu’il se demanda comment il ne l’avait pas eu plus tôt. Puisque l’époque des Francs-alleux était révolue, eh bien ! Il consentirait à inféoder ses nouvelles terres. Mais il choisirait lui-même son suzerain. Et ce ne serait pas l’évêque, ce serait le comte de FOREZ. Messire Bertrand partit d’un jovial éclat de rire, en imaginant la mine qu’allait faire le roi et l’évêque. Force leur serait pourtant d’encaisser. Le comte de FOREZ était trop grand personnage pour qu’ils puissent quoi que ce soit contre lui.

Tout était donc profit dans cette solution : l’évêque du PUY devrait à l’avenir, user de ménagements envers le vassal d’un puissant suzerain et ce suzerain lui-même ne pourrait que se montrer flatté de la libre démarche de Bertrand, qui compterait désormais parmi ses vassaux les plus en vue. Au surplus, le comte Renaud était l’homme le plus débonnaire qui fût. Les rapports avec lui ne manqueraient pas d’agréments. C’est donc le sourire aux lèvres que Messire Bertrand signe, le 15 avril 1264, l’acte d’inféodation, dressé en latin et sur beau parchemin, comme il convenait, par son chapelain et chancelier, et y fit apposer son sceau: « Nous plaçons entre vos mains, affirmait cet acte, notre château de ST-PAL avec le mandement du dit château, la maison du seigneur Arrive, chevalier, appelée TAURIAC, ainsi que tout ce que possédait autrefois le seigneur de BEAUMONT dans le château de CRAPONNE et dans son mandement; tous ces biens, nous les tenons et avons en fief de vous ; nous plaçons, en effet, entre vos mains tous et chacun des biens susdits, en bonne maîtrise ou bonne seigneurie, pour que vous les gardiez comme leur seigneur et que vous les défendiez ».

Les dés étaient jetés. Mais Bertrand de CHALANCON avait vu juste. Tandis que l’évêque du PUY, en butte de nouveau aux vexations des POLIGNAC, voyait avec amertume échapper à son pouvoir temporel une fraction de son diocèse, le comte Renaud ne cessa jusqu’à sa mort, survenue en 1270 à son retour de la dernière croisade, d’entourer son nouveau vassal de mille prévenances. Il en alla de même de son fils Guy, d’une santé précaire, qui ne survécut guère qu’une huitaine d’années à son père. Tant et si bien qu’à sa mort, il ne voulut d’autres tuteurs pour son jeune fils Jean, agé seulement de trois ans, qu’Hugues de BOSSONNELLE, doyen de Notre-Dame de MONTBRISON et Bertrand de CHALANCON en personne. Comment celui-ci n’aurait-il pas été au comble de ses voeux ? Une douzaine d’années durant, il allait se trouver en fait le maître du comté de FOREZ, qu’il administrerait à sa guise.

C’est alors que pour lui la fortune tourna. Grisé par son succès, plus entreprenant que clairvoyant, il ne sut pas deviner à temps que son pupille était d’une toute autre trempe que Renaud et que Guy. Energique, volontaire, supérieurement doué, il ne supportait qu’avec peine l’autorité de ses tuteurs. Que se passa-t’il exactement ? Ceux-ci ne furent-ils pas tentés de confondre les intérêts du comte avec les leurs ? Commirent-ils quelques imprudences, dont il leur échappa qu’elles deviendraient prétexte à les accabler ? Toujours est-il qu’à peine majeur, dès 1290, le jeune comte Jean exigea de ses tuteurs une reddition de comptes. Accusés par lui de malversations, menacés d’un procès devant le Parlement de PARIS, dont l’issue ne faisait pas de doute, les malheureux tuteurs durent accepter le compromis qu’on leur imposait. Il était dur. Le doyen abandonnait à son pupille des droits considérables. Messire Bertrand n’était pas mieux traité. Outre une indemnité de 3 000 livres à lui verser, le comte Jean exigeait que tous les alleux d’importance secondaire qu’il avait espéré soustraire à l’hommage tant du comte que de l’évêque lui fussent inféodés.

Bertrand de CHALANCON s’exécuta. Par acte du 6 juin 1293, il soumettait à la directe du comte tout ce qui ne l’avait pas encore été. C’était une longue, une interminable énumération de droits et de propriétés (rien n’échappant à l’oeil de faucon du jeune comte) où figurent pêle-mêle des villages, SARLANGES, CHAUMONT, l’HERM, la FAYE, VACHEROLLES, des étangs, à BOISSET, à TIRANGES, des vignobles, des prés et des bois, et encore des prés et des bois. Là n’était pas le plus amer. Bertrand de CHALANCON sursauta lorsque son implacable pupille lui laissa entendre ce qu’il exigeait encore : tout simplement que soient détachés du mandement de St-PAL deux groupes de villages qu’il se proposait de rattacher, en pleine et immédiate seigneurie, à la châtellenie de St-BONNET, récemment acquise par lui, contre écus sonnants et trébuchants, de Robert de DAMAS. Ce n’était certes pas, se hâta-t’il d’expliquer à son tuteur effondré, la valeur de ces villages en elle-même qui l’intéressait, mais leur situation de premier plan, en bordure des deux grandes voies qui, de ST-BONNET conduisaient au coeur du VELAY : la MONTZIE, le LAC et le FEVET, à proximité du chemin d’ANIS par VOREY, devenu depuis longtemps l’un des chemins de pèlerinage les plus fréquentés ; BOSC-JAUFFREY et BOSC-BUISSON, à côté de la voie romaine de LYON à TOULOUSE. Le jeune comte se proposait même, pour contrôler plus efficacement cette dernière route, de se faire céder, d’ESTIVAREILLES à BOSC-BUISSON, d’autres parcelles de terrain, notamment au CHASTELAR, où il installerait un poste de garde. Ainsi serait-il à l’abri de toute incursion brusque de troupes vellaves.

Bertrand de CHALANCON, comprit qu’il était joué. Il avait voulu faire pièce aux évêques du PUY, il ne s’en était jamais caché, et voici qu’on voulait leur faire pièce plus habilement encore, en implantant au sein de leur diocèse de redoutables avancées foréziennes. Seulement, cette fois, c’était en prélevant des lambeaux de chair vive sur le corps même de la seigneurie du malheureux vieillard. Mais celui-ci savait bien qu’il n’était pas en état de refuser. Il signa, le désespoir au coeur. La blessure en lui ne se refermerait plus. Et comme pour l’aviver, ce qu’il apercevait désormais, dès son arrivée à ST-PAL, c’était, se profilant sur la crête toute proche, dominant, écrasant son château, les villages d’un suzerain qu’il se prenait à maudire. Suprême dérision à son égard ! Le comte n’avait-il pas eu le front de grouper les nouvelles dépendances de sa châtellenie sous la dénomination de terre de ST-PAL ! Ah ! Que n’avait-il refusé cette fatale tutelle !

Mais le jeune comte était de ces hommes qui ne sont jamais cruels que dans la mesure où l’exigent leurs intérêts. Ayant tiré de son vieux tuteur tout ce qu’il pouvait prétendre, il se plut à lui offrir un dédommagement. L’occasion lui en fut donnée par son mariage avec Alix de VIENNOIS, fille d’Humbert 1er, dauphin de VIENNOIS. Rien ne pouvait être plus agréable à Bertrand de CHALANCON que d’avoir part aux négociations préliminaires. C’est qu’en effet, Alix apportait en dot à son époux tout le VIENNOIS cisrhodanien, lequel empiétait sur la partie Nord-Est du diocèse du PUY. De RIOTORD à ST-HILAIRE, en passant par MARLHES, JONZIEUX, ST-FERREOL, BAS, ROZIER, plusieurs paroisses vellaves échappaient ainsi définitivement à l’autorité temporelle des évêques. La satisfaction qu’en éprouvait le vieux Bertrand lui faisait oublier par instants ses déboires.

Le temps, d’ailleurs, avait passé, et les derniers Capétiens ne se souciaient plus guère des évêques du PUY. C’était le comte Jean, en qui ils avaient deviné une nature hors série, qu’ils désiraient par-dessus tout s’attacher. Quelques années encore, et il recevrait de Philippe V le LONG la délicate mission de tenir enfermés en conclave, dans l’église des Jacobins de LYON, les cardinaux récalcitrants, de leur interdire de se séparer avant d’avoir élu un nouveau pape, et de faire en sorte que ce pape soit le candidat de la FRANCE, le futur Jean XXII. De cette mission, il s’acquitterait avec un si remarquable mélange de fermeté et de souplesse (la poigne de fer dans un gant de velours) que Philippe VI de VALOIS n’hésiterait pas à en faire son conseiller et son ministre. On reconnaîtra sans peine que le pauvre Bertrand de CHALANCON n’était guère de taille à l’emporter sur lui.

Ainsi prenait fin cette longue partie de poker entre les rois de FRANCE, les évêques du PUY, les CHALANCON et les comtes de FOREZ dont la destinée de ST-PAL et de quelques-uns de ses villages avait été, à un moment donné, l’enjeu. Les petits, assure t’on, pâtissent souvent des querelles des grands. Fut-ce le cas pour ST-PAL ? Tout compte fait, son rattachement au FOREZ fut plutôt bénéfique. Par contre, l’annexion à la châtellenie de ST-BONNET de quelques villages qui continuèrent néanmoins à faire partie de la paroisse, n’alla pas sans quelque inconvénient pour les habitants de ces villages. Nos aïeux, on le sait, avaient l’humeur chicanière. Testaments, échanges, ventes avec faculté de rachat ou à un prix jugé, après coup, trop élevé, tout devenait prétexte à contestations. Par bonheur, neuf fois sur dix, le procès ne dépassait pas le stade de la cour de justice seigneuriale. Le juge qui y siégeait faisait, avant la lettre, fonction de juge de paix. Il écoutait les parties, s’efforçait d’y voir clair et finissait par suggérer un arrangement. « Parents et amis », suivant la formule consacrée, le faisaient alors accepter par les intéressés, et il n’y avait plus qu’à se rendre chez un notaire royal qui, noir sur blanc, de sa plus belle écriture, couchait, le compromis sur parchemin.

Comparaître devant le juge de ST-PAL, qu’on habitât le bourg ou les villages, était aisé. Mais comparaître devant le juge de ST-BONNET, quand on vivait dans l’un des villages annexés à cette châtellenie, n’était pas, par mauvais temps surtout, de tout repos. A quelque chose malheur étant bon, on peut penser que cette difficulté rendit, dans ces villages, les procès plus rares. Le changement fiscal fut moins gênant. Que les habitants des villages annexés payent le cens et autres redevances féodales au fermier de la châtellenie ou à celui de la seigneurie de ST-PAL n’était, pour eux, ni plus ni moins onéreux. Il en allait de même des tailles royales dont la perception se faisait, elle aussi, dans le cadre des mandements seigneuriaux. La paroisse de ST-PAL se trouva donc, à cet égard, divisée, suivant le terme officiel, en deux parcelles : la parcelle dite de ST-PAULET, terme où il ne faut voir qu’une appellation d’ordre administratif, comprenait les deux groupes de villages détachés de la seigneurie : Le groupe de l’Ouest, pour lequel ne subsistait plus au XVIIème siècle que la dénomination commune de BOST-BUISSON, et le groupe du Sud, bientôt réduit au seul village, de la MONTZIE. La parcelle de ST-PAL comprenait le reste de la paroisse. La répartition et la levée des tailles étaient confiées, dans la parcelle de ST-PAL, à quatre consuls, dans celle de ST-PAULET à deux, choisis chaque année, les uns et les autres, sur la liste des propriétaires fonciers.

Cette destination se prolongea jusqu’à la Révolution et même au-delà. C’est que les cadres financiers résistent beaucoup plus, de par la nature des choses, aux bouleversements sociaux que les autres. La commune qui se substitua à la paroisse porta même, au début, le nom officiel de commune de ST-PAL et ST-PAULET, désignation que malgré sa longueur, on trouve encore à la fin de l’an X (1802). Le budget de la même année continuait pareillement à distinguer la contribution foncière de ST-PAL (soit 364 francs) de celle de ST-PAULET (soit 69,40 francs). Puis ce cloisonnement disparut et les deux villages rentrèrent définitivement au bercail.
Et après 1653 ?

Quelques lecteurs de l’Almanach de Renouveau de 1968, s’étant intéressés à la douloureuse histoire de la dernière des ROCHEBARON, ont manifesté le désir de savoir ce qui se passa au lendemain du 23 septembre 1653. Il est aisé de leur donner satisfaction.

Antoine de ROCHEBARON ne devait plus revoir son château de St-Pal. Elle languit quelques semaines encore, puis s’éteignit au début de février. Isabelle de la BAUME, la seconde vicomtesse de POLIGNAC, l’avait précédée de peu dans la tombe : Elle était morte le 28 janvier. On comprend sans peine, que des deuils si rapprochés aient affermi la petite Nette dans sa résolution de quitter un monde qui lui était apparu sous des traits si hostiles. Cependant Louis-Armand de POLIGNAC qui n’avait eu de sa seconde épouse que deux filles et un fils de santé précaire, se devait d’assurer l’avenir de sa maison. Il se remaria donc le 17 janvier 1658. La nouvelle vicomtesse, Jacqueline du ROURE, ne ressemblait guère aux deux autres. De santé robuste, elle devait atteindre l’âge, fort avancé pour l’époque, 80 ans, mais naturellement mondaine et dépensière, elle résista mal aux tentations de la cour et se trouva impliquée dans la scandaleuse affaire des Poissons ; exilée à LAVOUTE, elle y mourut en 1721. Elle avait donné à son époux deux fils: Gaspard-Armand qui succéda à son père et Melchior qui devint archevêque d’AUCH et cardinal, académicien distingue et autour du célèbre poème en vers latins, l’Anti-Lucrèce.

Antoinette de ROCHEBARON avait vu juste : Gabrielle, la plus jeune de ces trois filles, épousa, bien peu après sa mort, Louis – Armand de la ROCHEFOUCAULD, frère cadet de Louis de la ROCHEFOUCAULD, comte de LAURAC, marie à Catherine des SERPANTS. Mais le contrat, signé le 6 avril 1654, ne fut dressé ni à St-Pal ni par Maître CHASTELLE. Que devint alors la seigneurie de St-Pal ? Nous y arrivons. Antoinette de POLIGNAC, la petite Nette, prit effectivement le voile à PARIS, chez les Carmélites de la rue du Bouloi, le monastère si cher à la reine de FRANCE, Marie Thérèse d’Autriche. Elle y mourut le 13 novembre 1690. La dot qu’elle y avait apportée était princière. Devenue, en effet, l’unique héritière des biens qu’Antoinette de ROCHEBARON avait réservés à sa fille Suzanne, et notamment des seigneuries de St-Pal et de TIRANGES, elle les abandonna à son père, à une condition : c’est qu’il verserait de sa part au CARMEL une somme de 75.000 livres. Ce qu’il fit en 1669. nul doute que cet arrangement ne répondît, par delà le tombeau, au voeu le plus cher de la dernière des ROCHEBARON : Celui qu’en s’éteignant l’antique race puisse, en un suprême geste de réparation et d’hommage, faire don à dieu et à son église de cette terre de St-Pal qu’elle avait tant aimée.

Ainsi rachetée en partie par les POLIGNAC la seigneurie de St-Pal restait, somme toute, dans la famille:Les POLIGNAC ne continuaient ils pas la branche aînée des CHALANCON, comme les ROCHEBARON en continuaient la branche cadette, les uns et les autres descendants de Pierre de CHALANCON, fils de Guillaume et de Walpurge de POLIGNAC ? Mais tout changea une cinquantaine d’années plus tard. La vie à la cour était dispendieuse, les plus riches ne tardaient guère à s’y endetter, et pourtant les POLIGNAC se devaient d’y tenir leur rang, un rang de premier plan (on connaît à cet égard, l’amitié qui unira plus tard l’infortunée Marie Antoinette à la vicomtesse de POLIGNAC, devenue duchesse en février 1780). Gaspard Armand de POLIGNAC dut se résigner à abandonner à ses créanciers une partie de ses biens patrimoniaux. Les terres de St-Pal en faisaient partie..

Signe de temps ! Celle-ci fut acquise en 1719 par l’un de ces parvenus de basse extraction qui pullulèrent sous la régence, ABRAHAM PEYRENC, fils d’un perruquier du VIGAN, qui venait de réaliser une fortune scandaleuse en trafiquant des actions de la Compagnie des Indes. La honte, par bonheur, dura peu. Le fils d’ABRAHAM, François, seigneur de MORAS, à qui les millions de son père (une vingtaine) avaient permis de se parer des titres les plus ronflants, revendait, dès 1751, la seigneurie de St-Pal, qui continua de passer de main en main, dans l’indifférence générale. C’en était bien fini, depuis Antoinette de ROCHEBARON, des liens personnels, respectueux et confiants, qui, durant des siècles, avaient uni St-Pal à ses seigneurs ! La révolution ne ferait, à cet égard, que consacrer un divorce depuis longtemps consommé.

A dire vrai cependant, la noblesse des successeurs de François de MORAS était plus authentique. Celle des REYNAUD de MONTS, les nouveaux acquéreurs, remontait même au XIVe siècle. Mais la seigneurie de St-Pal ne resta guère aux mains de cette famille. En 1762 (11 ans plus tard) Gaspard REYNAUD de MONTS la revendit au représentant de la famille de RICHARDIE, Jean ASTORGIAS, chevalier. A la mort de ce dernier, elle échut par héritage à Hugues de GENESTET, comte de St-DIDIER, jeune et brillant officier de l’armée royale, qui devait, à la révolution, porter courageusement sa tête sur l’échafaud, pour le service de son roi. Quelques années auparavant, il avait cédé à la paroisse de St-Pal une bande de terrain pour y construire la nouvelle sacristie. En souvenir de ce don, et afin d’honorer en sa personne les innocentes victimes de la Terreur, la paroisse eut à cœur, jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale, de faire célébrer chaque année, le dernier dimanche de janvier, une messe de requiem pour le comte de St-DIDIER. émouvant exemple de fidélité envers un passé séculaire !

Le château de St-Pal et les métairies qui en dépendaient furent déclarés bien nationaux. Mis en vente, ils furent achetés à vil prix par des marchands de biens qui ne tardèrent pas à les revendre à des acquéreurs de l’endroit, moins dépourvus d’argent que de scrupules. Une nouvelle aristocratie se mettait en place, celle des plus forts imposés, suivant l’expression d’alors, presque tout enrichis des dépouilles des spoliés. Une page de l’histoire de St-Pal était définitivement tournée. La suivante s’ouvrait sur les guerres sanglantes de la Révolution et de l’Empire, prélude aux hécatombes du XXe siècle.